La Cabane du Faune TEXTE, FILM, DANSE

La Théorie du Faune


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Actualités
du Faune


Critical Phase Version scénique

Composition, conception & mise en scène – Samuel Sighicelli Texte – Pierre Kuentz Lumières – Jacques Benoît Dardant Regard sur le mouvement – Sabine Novel Sampler – Solène Charpentier avec Noémi Boutin – violoncelle & voix Claudine Simon – piano & voix et la participation de la classe de CM1 de l’école Waldeck Rousseau de … Lire la suite

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Stratégie
du Faune


Le Faune rôde, il rêve, il attend. Il débat quand l’occasion se présente. Il fait le dos rond ou sommeille quand il le juge opportun. … Lire la suite

Habitat
du Faune


Le Faune prend position entre les lignes du cadastre. Il est au bord d’un lac, dans un square, près des vestiges d’un temple romain. Il … Lire la suite

Naissance du Faune
(un bref historique)


Notre équipe s’appelle La Compagnie des Infortunes. Elle s’est constituée en 2006. Nous intervenons alors dans la programmation du Festival d’Ambronay – Centre Culturel de … Lire la suite


Théorie du Faune

un projet artistique
de territoire
dans le Haut-Bugey

Théorie du Faune

remerciements

à Stephane B. pour ses patientes lectures

à l’Addim01 pour sa loyauté

Je ne trouve pas d’autre mode pour décrire
et théoriser un projet artistique de territoire
que celui d’une chronique documentaire,
auto-fictionnelle, fragmentaire, extravagante parfois, où les traces d’un paysage-poème dansé puis enregistré
se mélangent aux accidents de parcours,
aux reliefs et à l’inévitable effacement
que produisent l’usure du temps
et les failles de la mémoire.

janvier 2012

Un projet, ici ?

Madame la Programmatrice de la Programmation veut que LES JEUNES de SON TERRITOIRE viennent dans SA salle voir SES spectacles. C’est SON projet. C’est ma survie. Une nouvelle ère commence pour moi. On me confie une mission. Conquérir des nouveaux publics. Artiste pionnier ? Explorateur ? Héros vivant du spectacle ?

JE SUIS UN CONQUÉRANT

JE SUIS UN CONQUÉRANT

JE SUIS UN CONQUÉRANT

JE SUIS UN CONQUÉRANT

JE SUIS UN CONQUÉRANT

JE SUIS UN CONQUÉRANT

JE SUIS UN CONQUÉRANT

JE SUIS UN CONQUÉRANT

JE SUIS UN CONQUÉRANT

JE SUIS UN CONQUÉRANT

JE SUIS UN CONQUÉRANT

JE SUIS UN CONQUÉRANT

JE SUIS UN CONQUÉRANT

printemps 2012

Les difficultés commencent. Il faut faire un projet.

J’entrevois la possibilité d’une chorégraphie enveloppée dans le sommeil. Un truc reposant.

Premiers contours : une bataille ralentie, grandeur nature (à l’échelle 1, voire légèrement augmentée : 1,1). Ou bien ce serait la veille d’un ultime assaut qui ne surviendrait jamais. Tous auraient décampé. Ne resteraient que quelques figurants : la crème de la crème, l’élite du Haut-Bugey. Un casting par l’usure.
Guerriers écumes pétrifiés attendent depuis toujours le lendemain. Écho infini de la colère d’un jeune homme ou d’une jeune fille qu’on ne laisserait pas parler
(bâillon ?). Rage somnolente maintenue en éveil. Révolte latente, comme la vraie démocratie qui devrait être toujours au bord de la guerre (mais avec ici, en plus, l’idée d’usure ; démocratie semi-effondrée).

Ou bien ça se passe au cours des grandes migrations barbares du IVe et du Ve siècle.

Pour une raison obscure je me figure depuis toujours que le limes romain passe par ICI, entre Jura,
Revermont et Haut-Bugey.

En même temps, il faut que ça bouge. Le ça bouge est la garantie d’un financement public. Ça bouge
et
ça fait bouger les lignes est l’autre nom de la société du spectacle vivant. Ébranler le limes. Oui. Ça bougera (un peu). J’atténuerai le sommeil.

Prendre au sérieux l’idée de Cité et de citoyenneté. Idée de jeunesse communale (comme les conscrits quand j’étais enfant, ou la fête du 1er mai). Sans brouiller
les cartes, sans jouer au malin. C’est ce que j’avais tenté de faire en 2008 en écrivant un livret d’opéra sur l’année 1792, avec l’historienne Sophie Wahnich. Nous nous étions bien débrouillés.

Les adolescents du Haut Bugey. Presqu’hoplites.

Mon beau souci…

beauté miracle

les yeux d’Athènes étaient rivés sur ta jeunesse

la Ville inventait des sports à la hauteur de ton éclat

Helléniser le Haut-Bugey !

Projet inaccessible. Revoir à la baisse. Jamais les corps ne tiendront le coup. Résistance, endurance. Je n’aurai pas la santé. Tâchons au moins d’être romains !

J’enregistrerai l’Éveil des presqu’hoplites du Haut-
Bugey. La veille d’un banquet ou d’une partie
de chasse. Ça se passerait la nuit du 30 avril, au printemps (mais comme le rêve déjà de ce que sera une nuit d’été).

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Le projet prend corps. Le climat ensommeillé (légèrement atténué) clarifie tout.

Je suis en mesure de résumer : nous créerons des
situations pour que s’instaure le charme d’un non-événement poursuivi.

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Mes idées avancent. Je trouve d’autres formulations : idée de supplément absolu.

Quelque chose pour rien.

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Hoplites endormi(e)s préparent demain. Un rêve
collectif. Avec en même temps l’idée d’Éveil. Mon projet est de plus en plus évident. Je creuse le sommeil, j’aménage une porte de sortie à l’intérieur. La porte est étroite. Il y a une potion, un livre de hiéroglyphes ou un biscuit. C’est écrit quelque part : vas-y !
drink me ! eat me ! read me ! Et hop ! tu passes la porte et par cette porte s’engouffre la possibilité d’une émancipation. Tu prépares demain, en dormant. C’est au printemps,
le 30 avril, mais comme le rêve déjà de ce que sera une nuit de liberté pendant la saison claire.

Penser aux spécificités du terrain avec ses reliefs, sans oublier le sous-sol. Les vestiges. On crée les conditions d’une archéologie vivante : les jeunes habitants sont des revenants. Dépouilles glorieuses, adolescentes. Gradiva oh ! Elle vient jusqu’à nous. Le passé fuse. Des armes ressurgies serviront le combat de demain.

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Il faut accélérer le processus de maturation du projet (je ne peux me permettre d’attendre plusieurs siècles). Je mets le feu à mes idées, ou bien je produis la possibilité d’une décomposition prématurée des indices et des pistes : stimuler l’effacement ; travailler dans la cendre ; permettre aux strates plus anciennes
de remonter. Et mélanger mélanger avec le terrain.
J’inaugure la nécropole de mon projet.

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janvier 2013

J’ai une idée : il y aura le Faune. C’est bien, non ?
Bel emblème. C’est vivant.

On va faire un film qui enregistre tout.

Je formule brillamment auprès de la Programmatrice de la Programmation la proposition pour SES jeunes. Nouvelle idée (bonus ou supplément ?) : j’implique, conjointement aux hoplites du Haut-Bugey
(SES jeunes), d’autres jeunes gens, un peu plus âgés : des danseurs en apprentissage (le Jeune Ballet
du Conservatoire National Supérieur de Danse
de Lyon). Ils constitueraient une puissance d’émulation, une attraction vers la virtuosité.

Remarque : nous doserons les mélanges et rapports entre Haute Adolescence (Jeune Ballet / 20-24 ans)
et Basse Adolescence (Hoplites du Haut-Bugey /
14-20 ans) quand il sera l’heure.

Champagne ?! Toast à l’Idée ?!

Non. Le projet déplaît à la Programmatrice de la Programmation. échange de regards vides.

Elle ne le soutiendra pas.

Je commence cependant à beaucoup aimer l’Idée.
Les
presqu’hoplites endormi(e)s, le Faune, l’Attraction, le Limes en mouvement. Le Faune, surtout.

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extrait du carnet de préparation

poème paysage,

(piste à creuser éventuellement)

les cailloux racontent des histoires

once upon a time

dans un jardin greenhumide

in a kingdom by the sea

une motte d’herbe fendue

et une grande clé

et la petite fille tourne la clé

et un vague sourire suspendu s’accroche et s’évade

Izernore, le 21 janvier

février 2013

Un matin, la Programmatrice de la Programmation
me signifie mon congé. Je dois partir.

Je n’abandonne pas le projet. Je resterai en périphérie. Je rôderai aux alentours : sous-bois, villages voisins, lacs. Un jour, un Faune viendra.

Une nouvelle histoire commence. J’impute ma ténacité à une forme d’aveuglement amoureux pour le Faune. Libido-biodiversité : nécessité impérieuse de préserver le dernier spécimen et/ou réintroduire à tout prix (si disparition). Loup du Mercantour, ours des Pyrénées, écrevisse du Nantua, avec en supplément une vague idée de littérature lointaine
et inaudible. C’est ça le Faune.
Nachleben. Ne paniquez pas ! Nous allons mettre les partenaires autour d’une table. Nous trouverons une zone pour la créature. La cohabitation sera possible. Pas de danger.
Territoire partagé = habitants protégés.

Mais je suis seul à la table. Il n’y a pas de partenaire. Personne à rassurer (ou à effrayer, pour rire). Pas de public à protéger. Le Faune est un fantôme.

Intellectuellement, le projet se porte très bien. Il est émancipé de cette étrange préoccupation des publics visés. Personne ne me contraindra plus désormais aux contorsions linguistiques grotesques : publics participants, spectateurs actifs, non-intervenants volontaires, spectateurs compétents, écoliers du spectacle vivant.

Je suis libre. Je cherche les mots adéquats au projet. Plutôt que public, les termes de joueur ou de banqueteur seraient opportuns. Joueur de danse, banqueteur du mouvement, joueur de théâtre, banqueteur des langues… L’idée fera son chemin.

Guy Debord suggérait le beau mot désuet de viveur.

Je suis libre. Il faudra, malgré tout, tenir un double langage ou adapter un peu le vocabulaire lorsque ce sera nécessaire. Je ne passe pas assez de temps à travailler la précision des énoncés. Je dois encore trouver de l’argent.

De plus en plus persuadé que le limes romain passe dans le Haut-Bugey, je commence au début de l’automne 2013 une correspondance avec Attila, roi des Huns.

Extrait de correspondance

Cher Attila,

Dans la vallée d’Izernore, aux abords aussi parfois du Revermont, chaque jour je pense à toi, Attila.
Je rêve de virtuosité équestre. Soudain une ascendance
aristocratique lointaine, pré-féodale, ignorée de tous, est révélée (accessoire vestimentaire oublié puis retrouvé
par miracle, jaillissement impromptu d’un trait de
caractère qui ne trompe pas, progrès spectaculaire de la génétique : le rêve ne me dit pas par quel moyen
la vérité est mise à jour).

J’ai trouvé grâce à toi, mon comte d’Artagnan. C’est toi, Attila. Je suis le Montesquiou du Haut-Bugey.
Mes pas s’effaceront dans la neige, mais je suis fort, intérieurement.

Ici, c’est le Nouveau Monde car les empires s’effritent. Il n’y a plus rien. C’est mort. J’ai tout rasé. Et soudain je suis un pionnier.

Je pense chaque jour à Arno Schmidt sur sa bicyclette, je pense au climat rigoureux là-bas. Plus à l’Est. Plus au Nord.

Sur le tronc d’un arbre dans la vallée, j’ai relevé un graffiti : Heidi loves Attila. C’est un signe. Je suis sur la bonne piste.

Au plaisir de te rencontrer etc. (politesse + signature)

Oyonnax, le 14 février

printemps 2013

Au premier jour de l’errance dans les forêts du Haut-Bugey, je fais un bref état des lieux. Un récapitulatif de la situation et des intentions.

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Extrait du carnet de préparation

1) Le territoire pour le jeu : Haut-Bugey

2) Les joueurs ou viveurs : jeunes danseurs en voie
de professionnalisation qui ont achevé leur période d’Éphébie (18-24 ans) + hoplites du Haut-Bugey (14-20 ans)

3) Construire une situation : sommeil avec la possibilité d’en sortir (pour préparer la suite)

4) Inventer des sports à la hauteur
de la beauté des joueurs

5) Construire ensemble des non-évènements

6) Enregistrer

7) Financement du projet : en cours

décembre 2013

Je suis seul. Je traque. Je rôde dans le Haut-Bugey.
Il faut trouver des
joueurs, des viveurs. Il faut trouver de l’argent, des soutiens logistiques.

Afin de faciliter l’exploration des territoires de jeu et la recherche de joueurs (ou viveurs), la Cie des Infortunes (structure juridique qui porte le projet du Faune) fait l’acquisition d’une voiture utilitaire (Citroën
Berlingo ; 350 000 km). Générosité d’un mécène : qu’il soit ici remercié ! J’arpente. Je me rends à des réunions publiques. Je présente le projet du Faune
et des Hoplites endormi(e)s.

Souvenir lointain d’une lecture de Jean-Luc Nancy
et de Giorgio Agamben sur la notion de ban : mise au ban, abandon, banditisme…

La forêt du Haut-Bugey et les routes qui la traversent ou la contournent sont le paradigme de cette mise au ban : exclusion inclusive. Je suis à la marge mais
je dépends du centre qui m’assigne à la marge, je dépends du
forum. Je suis forestis. Je traque. Je rôde. C’est moi la forêt.

Fenêtres ouvertes, je hurle dans la voiture. Je suis le Baryton que le Bugey a besoin ! Vibranbolide.
Wer reitet so spät durch Nacht und Wind ? À l’acmé des virages, les phares de la voiture font bouger les arbres. Erlkönig me tend les bras.

Les conversations avec les acteurs locaux (futurs
viveurs ? futurs joueurs ?) prennent des détours bigarrés, inattendus. Nouvelles ambiguïtés, nouvelles contradictions, nouveaux pièges. Je ne suis plus le thuriféraire de la société du spectacle vivant. Je n’enfume plus, mais d’autres brouillards se lèvent.

Une chose est acquise dans les échanges avec les Programmateurs de la Programmation du spectacle
vivant : leur lucidité. Ils ont pleinement conscience d’avoir anesthésié LEUR public. Et c’est pour cette raison qu’ils demandent aux artistes d’opérer une
sensibilisation. La société du spectacle vivant a admis
la portée an-aesthétique (ou an-aesthésique) de son entreprise.

Mais ici ? Brouillard. C’est trouble. Que faites-vous ? C’est de la sensibilisation artistique ? De la médiation culturelle ? Expliquez-vous ! Il faut trouver un terrain commun. J’enrage de n’avoir pas assez réfléchi aux mots que nous utilisons : négligence.

Ils parlent de leurs jeunes, de leurs quartiers sensibles. Le terme sensibilisation : ça ne va pas. On est déjà trop sensible. Ici c’est à la fois la zone et la campagne. Mais c’est aussi la ville. Là on est autour. Il y a les usines et tout autour des usines, il y a la forêt. Nous détestons la ville, ils prennent tout. Ici il y a des pauvres et c’est très riche. Nous perdons des habitants.

Et il y a les communautés. Nous avons des minorités. Où sont les communautés ? Elles devaient venir à la réunion, s’étonne une dame des associations.

Nous il nous faut de l’identité. Le problème, ici, c’est l’identité. On n’a pas d’identité.

Je suis artiste promoteur d’identité

Je suis artiste promoteur d’identité

Je suis artiste promoteur d’identité

Je suis artiste promoteur d’identité

Je suis artiste promoteur d’identité

Je suis artiste promoteur d’identité

Je voudrais parler de Leopold Bloom, dire deux mots sur Joyce. Nous sommes tous embloomés. Blum, blues, blousés-blasés, bleuets, fleurs bleues. Des exilés qui s’ignorent. Nostalgiques. Vous voulez un renouveau celtique. Elle est bonne ma bière. Elle est locale. Agneau de dieu du Haut-Bugey. Vous reprendrez bien une tranche ? Et mon fromage vous l’aimez ? Ce n’est pas du globalisé. Ça se sent, non ?

Georges Bataille : c’est une bonne piste pour ces histoires de communautés. Proposer un stage ?
Une introduction pratique ? Dans la forêt (je connais bien, je rôde, je traque) : la communauté de ceux qui n’ont pas de communauté. Artiste créateur de rites.
La nuit ? Non au soleil. Ouvrez grand votre Œil pinéal. Sensibilisation par aveuglement. Créons une nouvelle fête locale.

Ou bien on invente ensemble une situation pour que s’instaure le charme du non-événement. (Soumettre l’idée sans trop insister sur le non-événement car pourrait être mal compris.)

Je voudrais enregistrer le sommeil de vos enfants :
je prépare demain avec eux. Il y a un Faune aussi.

Nous allons bientôt nous lever et faire un serment. Nous devenons une île et nous flottons. Habitat suspendu. Il faudrait oser parler de plan quinquennal à notre échelle. Un plan où nous choisissons TOUT.
Ils sont prêts à entendre. Comment vieillir ?
Comment se soigner ? Et les déplacements ? Est-ce qu’on pourra encore faire des enfants ? Et la CULTURE ? Qui viendra polliniser ? Qu’est-ce qu’on va faire avec la culture ? C’EST L’AVENIR, hurle un vieil homme exalté.

Développez un peu cette idée de Faune.
C’est pas mal, le Faune.

J’avais prévu de parler des Hoplites endormi(e)s, mais je parlerai du Faune. J’ai tout préparé. Je sais par cœur. Ma voix est hyperpuissante (me suis échauffé dans la voiture ; ils pourraient prendre peur, attention). Je prolonge l’expire, je vais chercher dans les graves tout en ayant l’air pas trop triste (je pense à cette amie du Ministère qui me qualifiait de VRP culturel ;
le Ministère n’a jamais financé mes projets ; il faudra que j’adoucisse certains traits à l’avenir). Je débite :

« Vous dites qu’il faut trouver une identité à ce territoire. L’identité manque. Ce sont vos mots. C’est le Faune qui manque : identité hybride, imaginaire, ouverte à l’imprévisible, ouverte au temps qui vient (tout en étant liée à une mémoire lointaine des forêts). C’est la campagne ici. Le faune traîne à proximité des points d’eau pour se rafraîchir, pour s’assoupir, se livrer à la rêverie et peut-être pour apercevoir une nymphe, ou un jeune chasseur endormi. Vous avez des points d’eau ici.


Il dort et il est aux aguets. Il est pris de vin, somnolent et en même temps, totalement conscient de tout ce qui arrive. C’est une sorte de modèle. Partons de là et voyons ensuite. Il faut (ré)introduire le Faune sur le territoire. » (Là, chacun est persuadé qu’il a un grand-père qui a vu et connu un Faune. Tout le monde se met à parler en même temps. Moi c’était en Anatolie, moi en Islande). Je poursuis. « Il y a une expression dans la Grèce ancienne pour dire que quelqu’un a perdu
la tête : on dit qu’il a
vu la nymphe. Le Faune se frotte à la rêverie et il veut bien courir le risque de perdre la tête. Il faut que nous prenions des risques. Il faut reprendre la main sur la possibilité qu’il y a d’être fou un jour ici. Je crois que nous pourrions perdre la tête, TOUS ENSEMBLE, n’est-ce pas ? »

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février 2014

Je suis à la recherche d’un décor pour la danse endormie des presqu’hoplites.

Souvenir de repérages.

C’est au milieu de l’hiver, il a neigé. La voix est très belle et manifeste une joie déroutante. La jeune fille est très loin (tout à fait audible cependant).
J’ai tenté de la photographier. Zoom flou. Mais je relève les paroles de son chant.

extrait du carnet de repérage

Chant de la jeune fille du Haut-Bugey

j’entrerai dans le lit des Steppes
— Maman me l’a promis —
serai fendue en deux au bord
de la Rivière froide

vulve princière
offerte au Roi Nomade

ou troc
ou arrangement maximal

empire + joie

coucou hoiho
hoho
cache cache au fond des bois
coucou c’est moi
cherche barbare fidèle pour tractation

Attila
tu m’entends ?
je suis ta guerrière
ta souveraine chevauche l’espace

flash de Chine étincelle et traverse l’Europe
de part en part

sous la yourte sauna
j’absorbe les nuages

je pousse

la lueur folle de l’œil aquilin fond sur moi
je me livre et entre
dans le lit des Steppes
je suis ton offrande extranubile

Attila
tu m’entends ?
je suis ta guerrière
ta souveraine chevauche l’espace

Attila
tu m’entends ?
prends-moi
échange-moi

c’est une idée de ma mère

Chartreuse de Meyriat, le 28 février

mars et avril 2014

Je rencontre les presqu’hoplites. Ils viennent aux rendez-vous fixés par le Faune. D’autres rendez-vous sont donnés aux apprentis danseurs. Et puis viennent ensuite les rencontres entre apprentis danseurs
et presqu’hoplites. Il faut tout préparer. Doser

Sylvie Giron (chorégraphe) et moi imaginons des séances. Ce sont des jeux très sérieux : introduction à la presque danse.

extrait du carnet de préparation

Quelques notes (descriptifs d’exercices, mémento, commentaires etc.)

Séance 1 Oyonnax, le 14 mars

FAIRE CABANE

CREUSER

S’ABRITER

GUETTER / OBSERVER

COLLECTER

faire paysage (à plusieurs)
=> quitter l’endroit (la place, le séjour)

Séance 2 Oyonnax, le 15 mars

Chercher des textures de la hutte = textures de corps.

Ceci induit des qualités de mouvement.

– mouvement écorce

– mouvement feuille

– mouvement boue

– mouvement boue très liquide

(etc. trouver d’autres idées pendant la séance)

Séance 3 Oyonnax, le 16 mars

Exploration d’un verbe d’action :
POUSSER / ÇA POUSSE

(trieben / das Trieb : la Pulsion chez Freud,
l’Instinct chez Nietszche, la Pousse)

Essayer de faire comprendre aux adolescents que, transitif, intransitif, impersonnel, forme pronominale, forme active, forme passive, tout ceci est susceptible de produire du mouvement et de la danse. Essayer cependant de ne pas trop utiliser le vocabulaire grammatical. Ça risque de les lasser.

Ajouter deux autres verbes, au bout d’un moment :

TORDRE

GLISSER

FENDRE

POUSSER + TORDRE

POUSSER + GLISSER

POUSSER + FENDRE

Torsion de Trieb ?! oh ! on verra bien

Séance 4 Oyonnax, le 29 mars

Il faudrait s’immiscer sans défaire…

Exercice

Poursuivre l’exercice sur les verbes d’action en opérant un tissage aléatoire entre les verbes. Proposer l’exercice à
l’ensemble du groupe (improvisation collective). Dans une liste de verbes extraits du poème de Mallarmé, chacun se voit imposer deux verbes tirés au sort (ces deux verbes ne sont pas communiqués aux autres joueurs / danseurs). Le choix d’un troisième verbe est laissé à la discrétion du danseur
(là encore, il ne le communique pas aux autres)

DIVISER

EMMELER

DEMELER

TRACER

ISOLER

(S’)ABSENTER

ENTRELACER

(S’)IMMISCER

SE DEFAIRE (DE)

SEPARER

REPARER

PARTIR AVEC

RETENIR

Séance 5 Izernore, le 26 avril

(Points à discuter avec Sylvie G – chorégraphe)

Fantasme de danse / premier pas vers une théorie dansée des petits groupes.

Touver les formes passagères d’une humeur (humeur en tant qu’elle se propage partiellement). Cet aspect partiel (toujours mineur ou minoritaire) est difficile à trouver et à rendre sensible.

Dévoiler le flumen des atomes crochus qui traverse le groupe (là, idées d’affinités électives, mobiles) : ça concerne seulement quelques-uns (pas tous ! jamais tous à la fois !)

Produire une sorte de socialisme polyphonique. Des rythmes singuliers : entrelacs ici, petits tressages là, ailleurs un amas, un tas. Puis choc d’un hapax rythmique. Solitude parfois.

Surtout pas de tissu : détresser au maximum. Communauté de détresses.

Le problème, c’est l’espace, le terrain : il faudrait un kolkhoze de danse à l’échelle d’un petit groupe. Ça ressemblerait à quoi ? Produire collectivement une variété de désœuvrements avec chaque fois des qualités spécifiques.

Ce serait comme des momentanés dansés : choses transitoires.

épilogue ou bilan

Je suis un artiste communal.

Mon projet artistique s’appelle Faune. Tout est Faune désormais. J’installe une économie-monde globale minuscule. Il y a l’Heure du Faune, la Cabane du Faune, Midi un Faune. Recherche d’échange maximum.
Démonétarisé (souvent). Fabrique extensive de non-évènements. Productions sensibles pour accélérer la pensée ou la suspendre aussi (syncope de l’intellect ?). Expériences rythmiques collectives et solitaires. Attention extrême portée à la diversité et aux choses mineures.

L’obsession de chercher un antidote à TOUT s’est installée (il faudra d’ailleurs songer à guérir cette obsession) ; les discussions avec les agriculteurs du Haut-Bugey m’ont dicté un article sur l’Orfeo de Monteverdi (Poétique de l’Antidote).

Lieu de survie artistique. Grande adaptation au climat, au relief. Un bivouac pour dormir et créer.

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J’incruste de phrases le paysage du Haut-Bugey.
Je cherche quelque chose comme l’œil de la langue.

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C’était en juillet 2014, quelques mois après le tournage du Faune. Cette expérience a pris, elle aussi, le nom de Faune : L’Heure du Faune.

Corps nuage de Baigneuse molle. Danseuse matière. Elle parlait dans un microphone au bord de l’eau.
Elle plongeait aussi.

Voix oblitérée en paysage.

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Elle dit :

je suis la matière en général

humide (et défaillante)

c’est mou

en attente de

pas de muscles

ou bien ils sont enfouis

loin

sous la matière en général

(la vraie matière molle)

trois muscles glutéaux

le muscle tenseur du fascia lata

ça structure

en dessous

c’est là

pour recevoir l’empreinte des assauts du monde

oh imprime ton ressac

c’est là

pour vaguelettes et clapotis

je suis fendue trouée

comme au premier jour

c’est un miracle je n’ai jamais été vierge

il ne faut pas que ça t’intimide

je suis seulement la Chance

l’Ouvert

la fente de l’Ici

mes joues sont des jardins

il y a des fleurs

faites la pluie sur moi

nuage limpide

baignade céleste

contact eau-ciel

c’est très rare : cela s’appelle la nuée

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Au Printemps 2014, j’ai tenté pendant trois jours de capter l’écheveau des sommeils de quelques Hoplites du Haut-Bugey. Et de quelques apprentis danseurs aussi. Ils ont posé leur oreiller près des vestiges romains d’Izernore.

http://film.le-faune.fr

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Édité par
La Compagnie des Infortunes
(association loi 1901)
10, rue Amédée Bonnet,
01500 Ambérieu-en-Bugey
lesinfortunes.com

avec le soutien de
l’Addim de l’Ain
chemin du Stade,
01960 Péronnas
addim01.fr

conception Alexandre Cayzac
imprimé par Scripta Manent
en mai 2015

Le Faune,
projet artistique de territoire
film.le-faune.fr

Crédits photographiques

Sylvie Giron, pages 11 et 14

Jean-François Dupont, page 30

Vincent Allard, page 43

Théorie du Faune

un projet artistique
de territoire
dans le Haut-Bugey

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